Viviane Audet : « On a tous notre petit Maria quelque part »

Par Avignon.Gaspésie
15 mai 2025

Originaire de Maria, la compositrice Viviane Audet puise son inspiration dans les paysages, les gens et les émotions de la Gaspésie dans son dernier album. De ses débuts sur les planches de la polyvalente aux salles de spectacle de Montréal, son parcours est ancré dans une profonde gratitude envers son coin de pays. On a rencontré une artiste au cœur grand ouvert, qui revient aujourd’hui à ses racines à travers la musique.

Tu es née à Maria. Est-ce là que ton parcours artistique a commencé?

Oui, vraiment! Notamment grâce à des mères crinquées, des bénévoles passionnées, qui nous donnaient des cours de théâtre et de piano au primaire. C’est grâce à elles que j’ai découvert ma passion pour le jeu et la musique. Au secondaire, par exemple, avec Mireille, on a fait de l’impro, participé au Festival du Trac à Paspébiac… J’ai eu la chance aussi de côtoyer des profs marquants comme Denise et Jeannot qui m’ont initié à l’écriture et à la poésie et de rencontrer des personnes aussi généreuses que Régis au Cégep. 

Mes parents, comme toutes ces personnes, ne m’ont jamais fait douter. Je me suis toujours sentie valorisée. Rapidement, j’ai su que j’allais faire ça de ma vie.

Qu’est-ce qui t’a poussé à quitter la Gaspésie?

J’étais peut-être pas tout à fait prête, ni même équipée, mais je suis partie et j’ai fait mes auditions. Avec le recul, je pense que j’aurais sans doute dû finir mon Cégep! Cela étant dit, ma première année au Cégep à Carleton-sur-Mer a été l’une des plus belles de ma vie. On était un tout petit groupe, on allait écrire ou peindre sur le bord de la mer. Cette année a nourri ma culture générale et me sert encore aujourd’hui! Mais j’ai toujours dit, à la blague, que je finirai mon Cégep à la retraite!

Comment s’est passée ton arrivée à Montréal?

Ouf… Ça m’a pris du temps avant de voir mes racines gaspésiennes comme une force. Au début, on me parlait de mon accent, on me disait de le corriger, on remettait en question mes bases en jeu, en piano, en technique… En arrivant à Montréal, on était toutes « la hot de notre ville » mais… finalement, j’étais pas si hot que ça! (rires) J’ai compris que j’allais devoir travailler fort.

Tu as longtemps jonglé entre jeu et musique. Comment s’est faite la transition vers la musique?

À la sortie de l’école, j’ai rapidement obtenu des auditions et tournages pour des rôles à la télé et au cinéma… En parallèle, je faisais aussi de la musique. J’ai sorti un album en 2006 qui a connu un beau succès. Mais vers le début des années 2010, les rôles se sont faits plus rares. De nouveaux visages arrivaient. Le métier changeait, et c’était correct aussi.

Et là, on a commencé à me demander de composer pour l’écran, comme pour le film Camion de Raphaël Ouellet. C’est là que la musique de film (ou pour d’autres genres artistiques) a pris de plus en plus de place. Avec mon conjoint Robin-Joël Cool, on s’est lancé là-dedans, et depuis plus de 13 ans, c’est devenu presque mon métier principal.

Et ton album Le piano et le torrent, c’est quoi pour toi?

C’est l’album que je portais depuis longtemps. J’avais envie de me raconter, mais je ne savais pas encore comment. Et la réponse, c’était finalement le territoire. Le disque est composé de 15 titres de musique instrumentale inspirés de lieux, de souvenirs, d’expressions locales. Par exemple, une des pièces s’appelle Et si un jour tu reviens, les oiseaux te feront un passage, parce qu’à Maria, toutes les rues portent des noms d’oiseaux. C’est une question que je pose et à laquelle je réponds à travers la musique : est-ce que j’ai encore ma place ici?

 

 

Il faut repartir. Faire le chemin dans l’autre sens. Comme les autres fois, t’arracher. Mais cette fois, tu sais que ce que tu laisses derrière sur la pancarte verte est un ingrédient précieux de toi. Tu comprends que c’est elle qui t’habite. Qu’elle sera toujours ta maison. Maria. Et tu sais que si un jour tu reviens, les oiseaux te feront un passage.

(Extrait du récit pianistique sur le site internet de Viviane Audet)

 

 

Et les gens, ils y réagissent comment?

Ça m’émeut énormément. Depuis que l’album est sorti, beaucoup de gens m’écrivent pour me dire qu’ils ont un lien avec Maria, ou qu’ils vivent un déracinement semblable. Même ceux qui ne sont jamais venus en Gaspésie se reconnaissent. On a tous notre petit Maria quelque part. Ce genre de musique instrumentale, douce, accompagne des moments de vie très intimes. Des gens m’écrivent pour me raconter des choses touchantes, parfois très personnelles. 

Ton rapport au territoire a-t-il changé avec le temps?

Oui, beaucoup. Ma grand-mère est décédée en mai 2021, puis peu après, mes parents se sont séparés. Mon père a fait son coming-out. Ils ont vendu la maison, et là, pour vrai, je n’avais plus de maison à Maria. C’était comme si le déracinement que j’avais vécu en quittant la Gaspésie, je le revivais à travers eux. C’est étrange de voir ses parents se déraciner à 65 ans.

Depuis, quand je retourne dans le coin, c’est plus pareil. Mais il y a toujours un appel, une envie d’avoir un pied-à-terre dans la Baie. C’est comme une façon de dire à l’univers : je veux garder un lien.

Est-ce qu’un projet t’a particulièrement marquée dans ta carrière?

Si tu m’avais posé la question il y a six mois, je t’aurais sûrement donné une autre réponse. Mais aujourd’hui, rien n’égale ce que je vis avec Le piano et le torrentD’habitude, je passe d’un projet à l’autre, et ça me convient, mais là… j’ai l’impression que j’ai touché quelque chose de sensible chez les gens. On m’identifie comme « la fille de Maria qui joue du piano », et je trouve ça beau. C’est un rôle que j’endosse avec bonheur.

Et ton coup de cœur dans la MRC d’Avignon?

Ah! C’est cruel de choisir! (rires) Mais si je dois en nommer un, ce serait la Brûlerie du Quai à Carleton. J’adore m’asseoir sur la première chaise adirondack, celle tout au bord. Il y a tout : le café, la mer, la Gaspésie. C’est une place qui me fait du bien.