Quand on a contacté Pierre pour jaser avec lui, on a tout de suite compris la saisonnalité et le rythme de ses journées : ‘’Certainement, c’est mieux le matin entre 7 heures et 8 heures après ça, je suis en forêt…’’ nous avait-il répondu. Il ne fallut qu’une tempête pour l’attraper à l’intérieur de sa maison, alors qu’il fabriquait une table à partir d’un cèdre centenaire. Bien connu à Matapédia, ce conteur, guide de pêche à la retraite, biologiste, artisan du bois, artiste aux mille talents est aussi l’auteur de la «Bibitte» que vous connaissez peut-être. Passionné de nature, Pierre est avant tout un amateur du vivant guidé par sa curiosité.
Pierre, d’où viens-tu?
Ma famille est installée dans le coin depuis de nombreuses générations. Ma mère vient de Causapscal et mon père de Rivière-du-Loup. Je suis né et j’ai grandi ici. Les D’Amours ont toujours eu tendance à se tenir dans le bois et être proches de la nature.
Après une maîtrise en biologie, j’ai travaillé au gouvernement pendant 10 ans. Je n’aimais pas la routine, mais les défis oui, alors je suis revenu à mes premiers amours en guidant sur la rivière entre autres choses.
Qu’est-ce que tu fais dans la vie?
À peu près «toute»! Je suis trappeur, chasseur, conteur, sculpteur, artiste et ancien guide de pêche. J’ai pris ma retraite de guide l’an passé, après avoir pêché plus d’un demi-siècle sur la rivière Ristigouche. J’ai vu et rencontré des gens de partout à travers le monde grâce à la rivière, ce qui m’a permis de voyager par l’entremise de mes clients.
Ça ressemble à quoi ton type de journée?
Ma journée va varier selon la saisonnalité. De manière générale, je me lève très tôt vers 4 heures et demie ou 5 heures, je vais dehors, en forêt, je corde du bois, je trappe, tout dépend de la saison. En ce moment, je fais beaucoup d’art et je passe du temps avec mon fils autiste. Étant donné que je fais beaucoup de choses par moi-même, j’ai moins de dépenses, mais ça fait des grosses journées.
La table faite par Pierre avec des dates historiques marquantes pour la région.
Qu’est-ce que tu retiens de toutes ces années de pêche ?
Avant tout une grande solitude. Quand tu pêches, c’est un moment privilégié très fort que tu vis avec l’autre. Pêcher le saumon particulièrement, c’est un acte tellement puissant que ça établit un lien très intime avec le territoire, et ça noue forcément des relations. Au fil des années, j’ai accompagné des gens sur la rivière qui sont passés de la retraite, à la vieillesse, à la mort. J’ai parfois des appels pour m’annoncer le décès de clients qui étaient devenus des amis. J’ai eu des discussions très philosophiques avec des clients. Je me souviens d’un français qui me récitait de la poésie allemande quand la pêche n’était pas bonne. J’ai toutes sortes d’anecdotes!
Ça représente quoi la rivière dans ta vie?
C’est comme un membre de la famille auquel je suis profondément attaché. J’ai grandi et j’ai vu évoluer la rivière. Actuellement, il n’y a presque plus de saumon dans la rivière, il y a trop de bars rayés. Il faudrait prendre des dures décisions pour assurer la survie du saumon, mais on ne les prend pas. J’ai pris ma retraite pas parce que je n’aimais plus ça, mais parce que je ne pouvais pas être face à un client et attendre le saumon.
C’EST QUOI la «Bibitte»?
J’ai fait plus de 300 œuvres dans ma vie. Il y en a certaines qui «pognent» et tu te demandes pourquoi et d’autres moins et tu te demandes quand même pourquoi! «La Bibitte» fait partie de celles qui sont très connues dans le coin.
Il y a neuf ans, mon épouse cherchait une façon de trouver de l’argent pour des causes de bienfaisance. On pensait installer un poteau et gager sur la date de la débâcle comme ça c’était déjà fait ailleurs. Finalement, j’ai proposé de faire une œuvre d’art éphémère, quelque chose de plus animal, d’où «la Bibitte», une sculpture de bois en forme d’araignée réalisée sur la rivière gelée. Au printemps, quand les glaces fondent, «la Bibitte» est emportée par les eaux. Le but est de deviner et de gager sur la date où «la Bibitte» est emmenée par la débâcle.
Photo : La «Bibitte»
Depuis toujours, il y a à Matapédia un certain plaisir à deviner la date de la débâcle. Étant donné qu’on est très proches de la rivière, on a un rapport aussi craintif qu’envieux de l’arrivée du printemps. Avec cette œuvre saisonnière éphémère, on a joint le plaisir ancestral de la débâcle et de la curiosité d’un village.
Cette année, les fonds récoltés permettront à des jeunes de s’initier au ski ou à la planche au Petit Chamonix.
As-tu des projets actuellement ?
J’ai un projet qui me tient particulièrement à cœur sur des phrases locales. J’ai recueilli des citations de personnes du coin. J’ai demandé à plusieurs personnes «Quelle est la phrase qui t’a suivie et t’a aidée à traverser ton existence.» J’aimerais installer des pancartes avec ces citations, ces paroles d’aîné.e.s dans les sentiers pédestres des Belvédères de Matapédia et les plateaux. Ce sont des phrases parfois banales, d’autres chargées d’espoir mais qui, dans tous les cas, viendront faire écho aux magnifiques paysages qui nous entourent et qui sont habités.
As-tu un coup de cœur dans la région ? Un endroit que tu affectionnes particulièrement?
Je connais mille et un endroits dans la forêt qui sont magiques, mais je dois dire que l’endroit que j’affectionne particulièrement, c’est chez moi. Ma maison est située en haut d’une côte, sur une montagne qui donne vue sur une chaîne montagneuse et sur la rivière.
Alors, saurez-vous deviner la date du départ de la «Bibitte» cette année?
Pariez sur une date au garage Restigouche à Matapédia et contribuez à une bonne cause!