LA CRÉATION

Par Van Carton
8 juin 2020

Qui suis-je?

Van Carton

Van Carton est un prête-nom adopté par Guillaume Monette, connu comme auteur-compositeur (3 gars su’l sofa), cinéaste (Moulures, 2014), réalisateur (Coton ouaté, 2019) et monteur primé (Gémeaux, 2019). En d’autres mots: il joue de la musique, fait de la vidéo et c’est aussi un mordu de balados, un vrai.

C’est pas tout de visiter le territoire, fallait que je fasse une toune.
(Si tu comprends pas trop retourne lire La découverte.)

L’affaire c’est que je me sentais partie prenante d’un processus créatif beaucoup plus explosé que juste la création d’une chanson. 

Je me sentais en train d’écrire un nouveau bout de ma vie.

C’est comme si le processus de découvrir Avignon me libérait de quelque chose. Entendre du monde jaser de leur réalité si différente de la mienne, ancrée dans le territoire, plantée dans la terre, coulée dans l’eau, pognée dans le sel pis les coquillages de la mer, ça me donnait l’impression d’être déraciné de mes 17 dernières années en ville.

Fak… j’mets ça dans de la musique et des paroles? Sérieux?

Revenons à la base, découpons la galette en petits morceaux faciles à avaler. 

D’abord pour moi la musique doit naître d’un moment sacré, ça doit être comme quelque chose d’attrapé au vol, quelque chose qui ne s’ancre pas dans le réel. Je parle de quelque chose qui passe comme un instant de magie, comme le fou rire qui ouvre les valves de notre corps. Quelque chose de pur, comme le timing de la musique dans un party, quand le gars qui a, comme d’habitude, jamais envie de danser se met à danser!

J’avais ça en banque. 

J’avais un morceau de musique créé avec Félix Petit il y a quelques mois. Félix c’est un réalisateur avec qui je co-compose. On avait envoyé ce bout de musique pour un contrat jadis, mais c’était pas pantoute ça qu’ils cherchaient. 

Cette fois-là, je me suis dit que ce serait la dernière fois que j’essayais de faire de la musique de commande. 

Je ne peux pas faire de musique sur commande.
Je n’ai pas les aptitudes pour ça.

Toutes les musiques que je crée sont des accidents. C’est la seule chose que je sais faire. Je suis comme quelqu’un qui parle un langage par amour de cette langue, mais sans vraiment l’avoir apprise. 

Je suis comme limité à dire seulement des choses que j’aime dire.

J’avais donc cette parcelle de chanson, basée sur un rythme lent, avec des synthétiseurs longs, comme les plaines des plateaux. J’ai vite compris que c’était ça ma toune. Toute allait partir de ça. Je n’avais aucun mot en tête encore, aucune préconception de l’aspect musical, mais je savais quelle scène je voulais recréer.

Pendant un de mes passages, la dernière journée avant de revenir, j’ai voulu aller me perdre dans une vallée pendant un début de tempête. On a pris le chemin Kempt, pis on a suivi la rivière. Un moment donné on s’est retrouvé entouré de petites montagnes costaudes. J’ai enfilé les raquettes et j’suis parti dans un champ, en diagonale, tout droit vers la face de singe avec une barbe de forêt qui me regardait. Le silence était épais comme de la crème. La neige entourait les alentours comme un beau poste de TV qui griche ben égale. On aurait dit qu’un trou blanc aspirait mes pensées. J’étais en apesanteur, au milieu d’un champ. Je me sentais tellement loin et bien. C’est ça que je voulais recréer avec la chanson. 

Quand la musique est en création, quand c’est sur le feu, je suis vraiment attentif aux premiers mots qui se glissent instinctivement dans la soupe.

C’est souvent là que la saveur va pogner. 

La première phrase m’est venue : « L’espace blanc, entre les murs, entre les jours. »

J’étais dans mon champ, près de la rivière Kempt. Puis m’est venu juste après: « Ce n’est pas pour toi, ce n’est pas pour nous ».

J’ai senti que mon subconscient voulait tout de suite me protéger. J’ai senti que je m’interdisais l’idée d’y vivre. Voici probablement un réflexe de ben du monde qui passeront dans Avignon. On s’y projette, on rêve de vivre cette réalité nouvelle. Mais vite on est ramenés à l’ordre par notre « bon sens ». 

Ben voyons comment tu veux que nous on vive ici?
Y’a-tu de la job?
C’est ben trop loin!  

Je pense que n’importe quel résident d’Avignon aura un sourire en coin en lisant ces questions remplies de peur. Pour beaucoup ils ont passé outre ces doutes. En 10 minutes à l’épicerie de Maria je serais sûrement capable de ramasser une chorale de nouveaux Mariens qui chanteront en coeur que non, ils ne regrettent rien. Ils sont bien ici et ils ne reviendront pas en arrière. 

Je devais me faire confiance.


Pour en savoir plus sur le processus créatif de Van Carton, écoute le balado Plonger dans l’immense.